106- NICOLAE ET LE SATAN NOIR

Publié le par OUDINE Anita

 

              

Nicolae Fleissig - Rythme - 2002 - Granit 300 x 140 x 100 cm - 3,2 t Fuerteventura -

(non, ce n'est malheureusement pas la sculpture "le satan noir"!)

 

              

              Rappelez-vous, "Diable, quand se voit-on ?" écrit en février dernier Nicolae Fleissig à son ami Gérard Laubie qu'il ne savait pas encore décédé (voir article 98)

              Et je vous disais que cette dernière phrase prendrait tout son sens lorsque je vous aurai livré le conte que Gérard Laubie a intitulé :  "Nicolae et le Satan noir".

              Le voici :

 

NICOLAE ET LE SATAN NOIR

 
              Un peu perdu dans la campagne audoise, j’interpelle un paysan sur un tracteur.

              - "Pardon Monsieur, je viens de Ste Colombe et je cherche un endroit appelé la Forge où il y a un sculpteur…"

            - "C’est pas compliqué mon gars, tu continues la départementale sur 1 km à peu près, et à main gauche, tu trouves un passage entre les maïs et c’est tout droit jusqu’au ruisseau. 500 mètres à tout casser ! Mais faut pas louper le chemin. Et au bout, tu trouveras un tas de vieilles maisons en ruines : c’est ça la Forge. Bonne chance mon gars !" 


             Nicolae, je l’avais rencontré à Paris quand j’avais une Galerie de sculpture à Beaubourg. Et aussitôt le courant était passé, avec l’homme comme avec l’œuvre. Il m’avait raconté son évasion de Roumanie pour ne pas être le sculpteur officiel de Ceausescu. Le "néo stalinien" c’était pas son truc. Depuis qu’il était à Paris où il avait un point de chute, il ne cessait de sortir la nuit pour patrouiller les rues au hasard pour voir les galeries en se demandant s’il en trouverait une pour l’exposer. Tout heureux de voir qu’on ne lui demandait pas ses papiers. Et le hasard qui fait bien les choses l’avait conduit chez moi en compagnie d’une amie américaine très proche.

            Ce fut tout de suite un coup de foudre réciproque qui ne devait cesser de durer. Ses deux premières Expositions chez moi furent des triomphes avec notamment deux acheteurs de marque : le Président Mitterrand et Jacques Chirac, alors Maire de Paris ; ce qui ne manque pas de sel.


             Hélas, je dus fermer ma Galerie en 86, escroqué par un associé majoritaire.

             En cet été 86, je sillonnais la France où j’avais des artistes un peu partout et surtout en Languedoc Roussillon. En compagnie de ma femme. Par le téléphone arabe qui fonctionne si bien entre les sculpteurs, j’avais retrouvé sa trace… enfin ! 

            Après avoir trouvé le hameau, parcouru le site, découvert une maison avec un hangar rempli de blocs de marbre et de granites divers, hurlé à tue-tête : "Nicolae !… Nicolae !", émergea du ruisseau un être hirsute, plus barbu que jamais et brandissant dans chaque main une truite de rivière encore dégoulinantes.

            C’était lui, c’était bien Nicolae, un peu étonné de nous voir là ! Cinq minutes plus tard et entre quelques pastis bien tassés, c’était reparti comme avant à nous raconter nos aventures et mésaventures récentes.

            Puis ce fut le parcours du combattant, à explorer "l’atelier"en plein air, à découvrir les machines et surtout les œuvres. J’étais frappé par la diversité des pierres : marbres des Pyrénées (découverts par lui alors qu’il y en avait depuis des siècles, blancs de Carrare, noirs de Belgique et d’Afrique du Sud, verts et roses du Portugal et même, ce que je n’avais jamais vu : des bleus incroyables qui provenaient des Andes. Comment diable, avait-il pu trouver tout ça ?


            C’est alors que Lise me fit remarquer une grande stèle noire drapée d’un personnage traité en bas relief.

            Derrière, une forme immense, de plus de trois mètres de haut, recouverte d’une bâche. 

           - "Vous voulez voir ?" fit Nicolae narquois. "Vous allez être surpris…"

             Tu parles si on voulait voir ! 

          

           D’un geste théâtrale tel l’inauguration officielle d’un monument, Nicolae fit tomber la bâche et là…

            - "Mais c’est…"

            - "Mais c’est un diable !" renchérit Lise. 

            Et il n’y avait aucun doute : cette sculpture monumentale et magnifique était le portrait craché d’un SATAN en pied. A la fois terrifiant mais tellement beau et magnétique à la fois.

            - "Ça doit peser deux tonnes cette sculpture !"

            - "Un peu plus de trois rectifia Nicolae. Elle est en trois morceaux en granit noir d’Afrique du Sud. Ce qu’il y a de plus beau en noir. Et de plus rare. De plus cher aussi." 

             Notre surprise passée et après un 3ème pastis, Nicolae nous conta son histoire. Une histoire de fou… ou de diable.

             -"J’ai été contacté par un sculpteur anglais de mes amis qui m’a adressé une petite annonce disant à peu près ceci  : groupe privé recherche sculpteur pour une commande monumentale dans le Sud-ouest de le France sur un thème mythologique ; travail bien payé etc…"

             Nicolae avait contacté ce groupe en demandant des détails, mais son interlocuteur se montra très évasif au téléphone et convint d’un rendez-vous chez Nicolae pour en discuter. Une semaine plus tard débarquèrent trois hommes très habillés d’une luxueuse Mercedes. Leur souhait n’était pas très clair. Pour sortir de l’impasse, Nicolae leur proposa de faire des croquis et une maquette. 

             Plus tard, Nicolas se rendit un jour au camp où était érigée sa sculpture avec une équipe de Télévision et de photographes désirant faire un reportage sur ses œuvres monumentales. Mais il ne put y entrer. Depuis sa livraison le lieu était devenu un vrai camp retranché ceinturé de hauts troncs d’arbres. Et fermé par une grille massive, doublé d’un épais blindage d’acier pour qu’on ne puisse rien voir et encadré de deux miradors où l’on apercevait des gardes avec des fusils. 

              Nicolae essaya bien de parlementer, de faire venir un responsable, car après tout c’était son œuvre et il avait un droit de regard permanent selon la loi. Rien n’y fit et ils durent repartir bredouilles, à la grande fureur des reporters et cinéastes, et Nicolae jura en lui-même qu’ils ne perdaient rien pour attendre.

              Il demanda à un de ses copains du club d’aviation de survoler le camp en hélico avec un photographe équipé d’un puissant téléobjectif. Les photos agrandies révélèrent la présence de la Sculpture située exactement au centre du camp. Et à sa grande surprise que son diable était ceinturé de deux cercles, un en rochers, l’autre en torches.

             Tout cela n’était pas très catholique !

Gérard Laubie

Publié dans Conteur

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article